Découvrez comment la pensée magique influence nos choix alimentaires : entre croyances culturelles, psychologie et transition vers une alimentation durable!
Les végétariens auraient du « sang de navet », les protéines de viande rouge rendraient plus « forts » et le poisson rendrait « intelligent ». Ces idées viennent de la pensée magique, un phénomène universel qui influence notre rapport à la nourriture et pourrait stimuler la mise en place de comportements alimentaires durables.
Qu’est-ce que la pensée magique ?
La pensée magique, c’est l’idée que « l’on devient ce que l’on mange ». Elle repose sur des réflexes anciens et instinctifs, où notre cerveau fait des liens symboliques entre les aliments et leurs effets supposés. C’est ce qui fait par exemple qu’instinctivement, on ne veut pas boire un verre de lait si un cafard est tombé dedans (loi de contagion), ou encore qu’on attribue à un aliment (et par extension, à celui qui le mange) les qualités de l’animal ou du végétal dont il est issu (loi de similitude). Cette pensée magique s’est traduite au fil du temps par des croyances diverses : « pour être homme, absorber des nourritures viriles ; pour grandir, manger des plantes qui poussent vite ; pour être brave, éviter la viande d’animaux lâches … », illustre le sociologue Claude Fischler1. C’est cette pensée magique qui entretient notamment l’aura autour de la protéine animale (en particulier celle de la viande rouge), qui apporterait force et vigueur, là où la protéine végétale serait plus « légère ».
Le saviez-vous ? En Nouvelle-Zélande, on faisait manger du korimako (un oiseau très mélodieux) aux enfants destinés à devenir chefs, afin qu’ils soient éloquents et deviennent de bons orateurs.2
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Un phénomène universel
Si la pensée magique est, en théorie, surmontable par la raison, elle n’en reste pas moins puissante. Et chez tout le monde. Les expériences menées par le psychologue américain Paul Rozin sont souvent citées en ce sens3. Dans l’une d’elles, Rozin demande à ses étudiants de boire un verre de jus de fruit avec une mouche dedans : rejet total, et l’aversion persiste même si la mouche est morte et stérilisée, ou en plastique ! De même face à des flacons de sucre étiquetés « sucre » ou « cyanure » : les étudiants ont beau savoir que tous contiennent du sucre, les premiers leur inspirent davantage confiance que les seconds. La pensée rationnelle n’efface donc pas la pensée magique ; les deux cohabitent et notre vision de l’alimentation se nourrit à la fois de vérités scientifiques et de croyances.
Fun fact : Les carottes, riches en vitamine A, sont réputées bonnes pour la vue. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Britanniques ont utilisé cette idée pour faire croire que leurs pilotes, précis lors des raids nocturnes, devaient leur performance à une forte consommation de carottes, dissimulant ainsi leur technologie radar avancée.4
Les mythes autour du végétal… à réinventer?
Comme tous les aliments, les végétaux ont leur lot de mythes et croyances entretenus par cette fameuse pensée magique. Certains ont la vie dure et freinent la nécessaire transition vers une alimentation plus végétale. Par exemple, beaucoup pensent encore que les hommes ont besoin de manger de la viande pour être forts ou qu’un “repas végétarien” est forcément plus léger et moins nourrissant qu’une recette avec de la viande.
Nous avons la possibilité de faire évoluer notre imaginaire afin de changer nos relations au vivant et aller vers un monde soutenable et harmonieux5. A l’échelle de nos assiettes, nous pouvons réinventer les récits autour du végétal. À commencer par le choix des mots : pensez à troquer le terme « végétarien » par des dénominations plus descriptives et alléchantes comme « lasagnes crémeuses aux lentilles » ou « parmentier fondant aux haricots rouges ». Les publicitaires l’ont bien compris. « Nous ne consommons plus des oranges, mais de la vitalité ! », illustrait Aldous Huxley dans son essai « Le retour au meilleur des mondes ».
Sources :
- Colloque « Pensée magique et alimentation d’aujourd’hui ». Paris, 1994
- L’alimentation pour se relier à la biosphère. Chaire Unesco – Alimentations du Monde
- Penser l’alimentation. OCHA, 2002.
- La légende des carottes qui font mieux voir dans le noir, de la géniale propagande de guerre britannique. GEO, juin 2023
- Comment faire évoluer nos imaginaires pour changer nos relations au monde vivant et aller vers un monde soutenable et harmonieux ? de Jules Colé. Ademe, 2022
En savoir plus :
- « Pensée magique et utopie dans la science ». Claude Fishler, 1996.
- Colloque « Je suis ce que je mange ». Chaire Unesco – Alimentations du monde, 2016